Henri Rousseau
Lorsque Picasso décide d’offrir, en 1908, en son atelier du Bateau-Lavoir, un banquet en l’honneur d’Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, beaucoup d’amis sont là : Max Jacob, Georges Braque, Gertrude et Leo Stein, Marie Laurencin et Apollinaire. Lequel a composé un poème très touchant à l’attention de cet ami, peintre « naïf » qu’admire tant Picasso, et qui malgré ces honneurs, mourra deux ans plus tard dans le dénuement : « le malheur s’acharna sur ta progéniture/Tu perdis tes enfants et tes femmes aussi/et te remarias avec la peinture/Pour faire tes tableaux, enfants de ton esprit » chante Apollinaire dans son ode.
Sa vie
Henri Rousseau peint, ces dernières années de sa vie, ses plus célèbres toiles, habitées de ses fameuses jungles, telles Joyeux Farceurs, Combat de Tigre et de Buffle, ou La Charmeuse de serpents, et bientôt Le Rêve. A ses funérailles, en 1910 n’assisteront que sept amis parmi lesquels Paul Signac et Robert Delaunay, mais sur sa tombe, Brancusi gravera une épitaphe composée par Apollinaire encore. Après de nombreuses moqueries dont son art, communément qualifié de « naïf », a été l’objet, toutes les prestigieuses amitiés artistiques nouées à la fin de sa vie en disent long sur l’influence qu’a eu le Douanier sur ses pairs. Et en particulier sur les avant-gardes parisienne et internationale : Picasso, Delaunay et les artistes allemands, dont Kandinsky, se sont inspirés de lui autant qu’ils ont collectionné ses tableaux. C’est justement ce que souhaite souligner cette exposition.
Un parcours thématique
Le parcours est donc thématique plutôt que chronologique, explorant les motifs récurrents chez le peintre : paysages étranges et immobiles, où cohabitent figures raides et hommages à la modernité (avions, dirigeables…), natures mortes, portraits d’enfants, végétation dense… Chaque toile est mise en regard d’une autre, peinte par un inspirateur (le Douanier aimait les académiques aussi bien que la nouvelle peinture), un illustre prédécesseur (Paolo Uccello, par exemple, maître de la première renaissance italienne, est présenté avec pertinence par un critique italien comme « le seul artiste européen auquel on puisse peut-être comparer Henri Rousseau », un contemporain (parfois anonyme, comme les peintres primitifs américains) ou un héritier dont l’inspiration est évidente, du Mécanicien de Fernand Léger, infusé du Portrait de Pierre Loti de Rousseau, à Maya à la poupée de Picasso. On parcourt ainsi la diversité et la richesse de cette œuvre dont il est souvent dit qu’elle ne ressemble à aucune autre, mais qui par tous ces liens établis prend toute sa place dans l’histoire de son époque. Par ces va-et-vient, on prend aussi le temps d’observer les contrastes de sa peinture : là où les personnages se figent dans des représentations enfantines, les ciels et la nature s’épanouissent au contraire avec une sensuelle maturité. C’est instructif, et souvent saisissant, comme dans la salle consacrée à La Guerre, fantastique tableau de 1894 qui jouxte non sans un certain sens du spectaculaire l’Egalité devant la mort peinte en 1848 par l’académique Bouguereau, ou bien la fin où, accrochées comme des trésors opalescents, ses maxi toiles junglesques, si épanouies, sont le clou mérité du spectacle.
Une personnalité mystérieuse
On peut regretter que la personnalité du peintre demeure aussi mystérieuse, au terme de l’exposition, alors que sa peinture, si singulière, atemporelle, se rattache forcément à une individualité peu banale, uniquement évoquée dans un texte d’Argendo Soffici, un artiste et critique italien qui contribua à le faire connaître dans son pays : « un pauvre homme d’une naïveté d’enfant et d’une bonté invraisemblable ». Pauvre homme oui, qui perdit 6 de ses 7 enfants ainsi que ses deux épouses, mais heureux homme qui renonça courageusement à son emploi à l’octroi de Paris pour peindre, écrivit même des pièces et des valses et su, en le représentant si vert, si luxuriant, saisir sans hésiter sa place au paradis des artistes.